Choisir sa vie et vivre ses choix

— Michaël Jeremiasz : Je m'appelle Michaël Jeremiasz, j'ai 41 ans, je suis ancien champion paralympique de tennis fauteuil et porte-drapeau de l'équipe de France paralympique aux Jeux de Rio en 2016. Je suis devenu paraplégique suite à un accident de ski à l'âge de 18 ans, le 7 février 2000, et aujourd'hui, je suis entrepreneur, consultant, producteur et papa de deux petits garçons. Le jour où j'ai découvert que j'étais paraplégique, je l'ai ressenti physiquement. C'est paraplégique incomplet, donc j'avais une perte de sensibilité et de motricité sous ma lésion. Assez rapidement, j'ai compris et on m'a expliqué que je ne remarcherais plus, ce qui a été difficile à accepter. Je me suis posé des questions assez basiques d'un jeune homme de 18 ans. Pour les hommes, qui connaissent ce petit syndrome de l'érection matinale, que je n'avais plus, et pas que matinale, d'ailleurs. Pendant trois semaines, j'étais paralysé du nombril jusqu'aux orteils. J'ai eu une petite récupération progressive. Je me souviendrai toujours, trois semaines après l'accident, au centre de rééducation, je me réveille avec cette première érection spontanée. À ce moment-là, il n'y a aucune pudeur. J'appuie sur la sonnette et j'appelle l'infirmière pour lui montrer. Pas "Regarde mon zizi", mais "Qu'est-ce qui se passe ?" Elle vient et elle me dit : "Vous avez une érection, Michaël." L'aide-soignante arrive, le médecin, le médecin-chef, je demande si je suis en train de récupérer. Ça a été pour moi, peut-être, le tournant de ma reconstruction, de me dire : "Je ne remarcherai peut-être plus jamais, mais je vais pouvoir potentiellement retrouver une vie sexuelle et intime." Je ne pensais pas encore à la parentalité, mais à avoir une vie intime. J'avais 18 ans, et si vous demandez à un panel de 1 000 jeunes de 18 ans leur choix entre ne plus marcher, mais avoir une vie sexuelle épanouie, ou courir le 100 m en dix secondes, mais ne plus avoir une vie sexuelle épanouie, je pense que, majoritairement, ils vous diront qu'ils souhaitent avoir une vie sexuelle épanouie. Ça a été une obsession pour moi, après mon accident. Je me suis rassuré, mais ça a été cette frénésie de prouver à la terre entière que je pouvais coucher avec n'importe qui. Pendant des années et des années, ça n'a pas duré toute ma vie, j'ai rencontré l'amour, je me suis calmé, mais pendant des années et des années, j'avais une obsession, presque une addiction, de pouvoir, n'importe quand, n'importe où, en soirée, quand je sortais, plaire et séduire n'importe qui et, in fine, ramener la personne dans mon lit ou là où on irait faire l'amour ensemble. J'ai mon accident en 2000. Je redécouvre progressivement, un peu maladroitement, puis en reprenant confiance, la sexualité.
J'ai une sexualité très épanouie pendant huit ou neuf ans après mon accident. Je rencontre l'amour, c'est la première fois que je tombais amoureux, que je restais avec une fille plus de quelques semaines. Cette personne deviendra ma femme. Trois ans plus tard, on se dit qu'on veut des enfants, en 2012. On se marie. Pas par croyance, mais on se marie avant d'essayer d'avoir des enfants, et on se rend compte qu'on a une infertilité de couple. C'est un parcours du combattant qui s'enclenche. Il nous faut trois ans, trois ans de procréation médicalement assistée, de FIV, de fécondations in vitro, d'abord en France, ça ne fonctionne pas. Douze tentatives plus tard, en Angleterre, ma femme étant anglaise, on arrive sur la dernière tentative. Ma femme m'a dit : "Après ça, on arrêtera et on adoptera." On voulait quand même être parents, peu importe par quel moyen. Et là, ma femme tombe enceinte fin 2015, milieu 2015, et accouche le 11 mars 2016 d'un petit garçon, d'un petit Mylo, qui devient notre premier petit garçon. Un miracle, pour le coup, après trois ans où ma femme n'a jamais baissé les bras, où moi, j'étais impuissant, la seule chose que je pouvais faire, c'est d'être là pour elle. Ce qui est un problème potentiellement masculin devient un problème féminin. La stimulation hormonale, c'est ma femme qui a dû se l'imposer avec toutes ses complications et conséquences. Je devais être un roc pour elle, ce que j'ai essayé de faire.
Le jour où j'ai appris qu'elle était enceinte, ça ne s'est pas fait juste en pissant sur un petit truc qui devient bleu, ce n'était pas aussi joli que ça, c'était en appelant un laboratoire spécialisé un dimanche qui nous dit : "Vous avez un taux de tant." On n'a jamais eu un taux de plus de six ou sept, un taux de femme pas enceinte. J'étais à côté de ma femme, j'étais prêt à la prendre dans mes bras et qu'on s'effondre parce qu'on ne sera jamais parents biologiques. Et là, je regarde ma femme, il nous dit un chiffre comme 200, 300 ou 400. "C'est-à-dire que ma femme est enceinte ?" "Ah oui, pardon, elle est enceinte, félicitations, bonne journée." Je m'effondre, tout ce que j'ai gardé pendant trois ans, où jamais je ne me suis effondré devant ma femme, alors que j'avais une envie folle depuis tout gamin d'avoir des enfants... À ce moment là, je m'effondre, inconsolable. On appelle mes parents, inconsolables au téléphone, puis ses parents, pareil. Ça a été, depuis, onze ans de bonheur, parce qu'on a eu ce petit bonhomme qui aujourd'hui a 7 ans, qui est un gamin extraordinaire. On voulait avoir plusieurs enfants, et ma femme m'a dit : "Il faudrait qu'on tente une dernière fois." Avec le même parcours, qui a été plus rapide, mais quand même compliqué, parcours de fécondations in vitro. Et on s'est retrouvés, nouveau miracle, moi à 41 ans, ma femme à 43 ans... On vient tout juste d'avoir un deuxième petit garçon, un petit Oscar âgé de quelques mois. J'étais un homme très heureux, je suis devenu un papa heureux, là, je suis un papa encore plus heureux avec une vie extrêmement riche. Oui, ça a été un parcours très compliqué, avec des moments de doute, de désespoir. J'ai été souvent bien accompagné, parfois pas du tout. On a parfois été complètement livrés à nous-mêmes, avec l'expérience française et l'expérience anglaise. Le résultat, c'est qu'on sait, pour avoir fréquenté des hôpitaux, des cliniques et des couples qui n'y arriveront jamais, qu'on a eu de la chance, même si c'est plus facile, en général, pour la majorité des gens, d'avoir des enfants. En tout cas, ça restera un parcours assez fou qui nous a pris dix ans de notre vie à vivre pour ça et autour de ça. Vous ne pouvez pas manger ce que vous voulez, boire ce que vous voulez, partir quand vous voulez. Quand c'est le moment et qu'il faut le faire, on annule les vacances, on est absent à des évènements de la vie des gens qui nous entourent. C'est beaucoup de sacrifices, mais je pense que ma femme sera d'accord avec moi, on referait la même, vu le bonheur que nous procurent nos petits bonhommes. En fait, quand ma femme est tombée enceinte, je dis "quand on est tombés enceintes", car c'est un parcours qu'on a partagé du début à la fin ensemble, j'étais extrêmement heureux et j'ai commencé à paniquer. Pas de peur qu'elle perde le bébé, parce que c'était une grossesse tout à fait normale, mais je n'avais aucun rôle modèle de papa en fauteuil roulant. J'ai des potes et des copines en fauteuil roulant, mais j'ai pas d'exemple de potes qui ont été, pendant le moment où on se fréquentait, de jeunes papas en fauteuil roulant. Donc, en fait, j'avais une peur de tout. Comment je vais prendre le bébé, est-ce que je vais pouvoir le transporter, comment je le mets dans la voiture... Je me posais toutes ces questions-là. Et en fait, j'ai été, comme beaucoup de papas et beaucoup de mamans, peut-être un peu maladroit, pas forcément le plus efficace au début, mais j'ai fait du mieux que j'ai pu et je crois que je ne me suis pas trop mal débrouillé. On n'a pas de guide pratique. Il y a des livres, plein de choses, mais je n'avais pas d'idée de ce que c'était. J'ai expérimenté, j'ai adapté mon environnement, j'ai adapté ma façon de le porter, de partager des choses avec lui. Il s'est passé des mois avant que je sorte seul de chez moi avec le bébé. Je sortais toujours avec ma femme, des amis, mes frères, mes parents. Et ça a été finalement assez compliqué au début juste d'avoir des réponses à mes questions. Qu'est-ce que je dois acheter, où je trouve des adaptations ? Vous n'allez pas sur Internet commander votre siège bébé. Tout devait être pensé. Un siège bébé où vous devez aller de côté comme ça...
Il faut trouver le siège bébé qui se tourne dans la voiture. Quel type de poussette, de quelle manière sans se faire mal au dos ? Donc, j'ai expérimenté et j'ai trouvé plein de solutions. Entre le premier et le deuxième, qu'est-ce qui s'est passé ? C'est l'expérience. Le deuxième avait à peine une semaine, je le prends dans son landau, je le mets dans un porte-bébé, je prends mon fauteuil roulant, j'ai un petit scooter électrique, le bébé s'endort sur moi, dix minutes plus tard, j'arrive à l'école de mon fils. J'ai une petite plateforme derrière, mon fils debout derrière moi, le bébé dans les bras. Ce n'est pas un sujet. Je sais. Entre le premier et le deuxième, je suis devenu un papa expérimenté, comme tous les papas. Mais la réalité, c'est qu'on a besoin d'un accompagnement plus important, d'informations. Ce qui est valable pour la parentalité des personnes handicapées l'est pour tout le parcours de vie d'une personne handicapée. On manque d'outils, on manque d'informations pour pouvoir compenser ce qui nous est arrivé, pour pouvoir avoir les mêmes droits, les mêmes libertés et jouir de ce que la société a à nous offrir. La parentalité, ça ne fait malheureusement pas exception, de pouvoir référencer tous les outils, toutes les adaptations et aussi les témoignages de gens qui vont pouvoir nous rassurer sur le fait qu'on peut être de très bons parents, qu'on soit handicapés ou pas. À partir du moment où on est aimant, on sera de toute façon un bon parent. Quand j'ai mon accident, je suis un jeune homme de 18 ans en situation de handicap, c'est comme ça que la société me voyait, avec tout ce qu'il y avait de préjugés il y a 23 ans, qui existent encore, un regard de peur, de pitié, de compassion excessive, d'infantilisation. Quand je deviens champion et que je deviens un peu médiatisé, là, le statut change.
Je suis handicapé, mais je suis un champion handicapé. Je suis un champion paralympique qui fait du sport dans un fauteuil roulant, mais ça change un peu. Le jour où je suis papa, le jour où je suis chef d'entreprise, le jour où je fais des choses comme tout le monde, je deviens comme tout le monde. La première fois que je vais chercher mon grand qui a 7 ans à l'école, où tous les papas et les mamans, qui sont encore majoritaires dans les cours de récréation quand on va chercher les enfants, sont au courant qu'on vient d'avoir un enfant, quand j'arrive avec mon petit fauteuil électrique, que j'ai mon bébé en train de dormir qui a une semaine, au moment où j'arrive et que je repars avec mes deux enfants, vous êtes le meilleur papa du monde, tout le monde vous regarde avec des yeux remplis d'amour, de ce que vous voulez, d'ailleurs. Les papas sont super fiers et contents, demandent comment je fais avec les deux. Les mamans trouvent ça super mignon. Sans rentrer dans le cliché, mais plein de mamans ont elles-mêmes des enfants en bas âge, au moins des enfants de 7 ans, et c'est un moment où il n'y a pas : "Le pauvre mec en fauteuil", au contraire, les sentiments sont inversés. Parfois, c'est trop, parce qu'à l'inverse, on sublime le papa... Non, je suis un papa capable de faire des choses. De la même manière qu'ils savaient que j'étais capable de faire du sport, pourquoi je ne serais pas capable de tenir un bébé ou de lui chanter une berceuse, chose que je ne ferai pas tout de suite. Quand j'ai l'accident à l'âge de 18 ans, je suis au milieu d'une fratrie de trois, j'ai un grand frère, un petit frère, on est sportifs, on est compétiteurs, surtout moi. Je suis le casse-cou de la famille, ça aurait pu être l'un de mes frères, mais c'est moi. J'ai un accident de la vie, parce que je fais le con pour impressionner mes frangins. Ce qui m'est arrivé, ça arrive tous les jours. Ça arrive tous les jours, des jeunes de mon âge qui ont des accidents, en conduisant leur bagnole, en faisant du ski, en plongeant dans une piscine où il n'y a pas assez d'eau. Tous les jours, il y a des accidents comme ça. Et moi, les chiens ne font pas des chats, j'ai un enfant qui est fan de sport, qui fait beaucoup de foot, qui joue au tennis, qui nage. Voilà, à la maison, on a des escaliers, il passe son temps à escalader, à grimper, et pas parce qu'il a vu des vidéos de moi le faire, parce qu'en fait, je ne le limite pas, je lui dis de faire attention, mais comme n'importe quel parent. Je ne lui dis pas de faire attention parce que je suis en fauteuil roulant. Et il skie très bien, il a appris à skier à l'âge de 3 ans avec nous. C'est mon sport préféré, ça l'est toujours, malgré mon accident. Mon plus grand kif, c'est de skier avec mon enfant, mais en lui donnant les codes pour qu'il soit sensibilisé aux dangers, mais sans avoir la boule au ventre dès qu'il fait quelque chose. Comme on apprend à un enfant à regarder pour traverser, quand on skie, je lui apprends. Le meilleur outil, notamment dans le sport, c'est d'être techniquement capable d'être bon pour déjà pouvoir compenser ce qui n'irait pas, et ensuite, c'est sensibiliser aux dangers. Oui, comme tous les parents, j'aurai mal au bide quand mon gamin aura 17 ou 18 ans, qu'il sera en soirée, que je ne saurai pas s'il rentre en scooter, en voiture, s'il a bu, quand il y aura les premières embrouilles au lycée, les premiers cœurs brisés. Quand on aime, on aime. Moi, je suis une mère juive, donc de toute façon, mes petits garçons, le moindre truc qui leur arrive, je voudrais enlever leur souffrance. Quand on a vacciné mon petit dernier, je le tenais dans les bras. À la seconde où je le vois, ça m'arrache le cœur. Je les aime comme un fou. C'est quelque chose de complètement irrationnel, au-delà de... Oui, je ferai comme tout parent, jusqu'à la fin de ma vie, pas juste jusqu'à 20 ans, jusqu'à la fin de ma vie, tout ce qui les rendra malheureux me rendra malheureux. C'est ce que mon père m'a dit après mon accident : "Quand tu es heureux, je suis heureux." Il ne me l'a pas dit quand j'étais au fond du trou après mon accident, mais ça veut dire que quand on aime les gens, ce qui s'applique aux enfants s'applique à tous les gens qu'on aime, si notre entourage est malheureux, on l'est aussi. Aujourd'hui, le rapport que les personnes handicapées ont à la vie intime, que ce soit la sexualité, que ce soit la séduction, et peut-être au bout l'amour / la parentalité... Admettons que ça se fait dans cet ordre, que d'abord, on veut plutôt plaire, avoir une vie sexuelle convenable, et puis un jour, on tombe amoureux et on fait des enfants.
On peut le faire dans le sens qu'on veut. La réalité, c'est qu'aujourd'hui, on nous positionne comme des sujets de santé, et puis progressivement, des sujets de droit. Notre combat, c'est de s'assurer qu'on ait les mêmes droits dans l'accès basique à la santé, à l'éducation, à l'emploi, à la culture, au sport. Mais dès qu'on arrive à la question de la sexualité, de la vie intime, de la parentalité, ce n'est presque plus un sujet tellement c'est tabou. On se dit qu'il y a tellement à faire avant, on parle d'accessibilité, c'est très bien, qu'il y ait des rampes, du Braille partout, des signalétiques sonores, très bien. Mais moi, je ne vis pas dans un ascenseur ou à l'entrée d'un bâtiment public. Je passe l'essentiel de mon temps avec les gens que j'aime. La vie intime, c'est ce qui prend le plus de temps. Vous êtes au moins une dizaine d'heures chez vous, entre les heures où vous dormez, où vous mangez, et vous partagez du temps avec vos enfants. La plupart de mon temps, je vais la partager avec des gens que j'aime et qui m'aiment. Donc, aujourd'hui, un de mes plus grands combats, j'anime une émission de radio qui s'appelle "Dis-moi oui, Handi", sur So good Radio, qui vient aborder la question de la sexualité, des sexualités de tout le monde, sans faire de focus sur la sexualité des personnes handicapées précisément, mais la sexualité avec un grand "S", et la parentalité est un de nos sujets aussi. Donc, moi, je voudrais que la société comprenne qu'on n'est pas que des sujets de droit. Aujourd'hui, on nous donne les moyens de survivre, mais on est là pour vivre pleinement et jouir de tout ce que la société a à offrir.
Moi, j'ai été élevé en pensant qu'il n'y a qu'une vie. Il n'est pas acceptable aujourd'hui, en France, en 2023, qu'on envisage la personne handicapée uniquement pour lui donner quelques droits et quelques compensations des droits qu'on lui aurait retirés. Aujourd'hui, ce qu'on veut, c'est pouvoir profiter comme les autres de ce que la société a à offrir, et la sexualité, la séduction, la vie intime, la parentalité, évidemment, doivent y prendre toute leur part, notamment dans l'accompagnement de personnes handicapées qui pour des raisons médicales ou extérieures à des problèmes médicaux ont un accès à la parentalité plus compliqué. Quand on parle de procréation médicalement assistée, on va d'abord penser aux couples homosexuels, mais je suis hétérosexuel, la question de ma sexualité n'est pas le sujet, mais la question de devoir nous aider parce que mon handicap ferait que j'ai plus de problèmes qu'une personne valide pour avoir un enfant doit être prise en compte, mieux accompagnée. Il faut mieux communiquer là-dessus et donner des outils. On a besoin d'outils pour que tout ça soit assez banal, qu'une personne handicapée puisse être papa, maman, un bon papa, un mauvais papa, en tout cas, donnez-nous les mêmes droits, et on vivra dans un monde meilleur. À un moment de notre vie, on est tous victimes d'accidents de la vie. C'est le point commun, on ne demande pas à naître, on naît, on vit, on meurt, on va avoir des problèmes dans notre travail, des problèmes de couple, on va perdre des parents, des grands-parents, la maladie, tous ces sujets sont des accidents de la vie. Je ne dis pas ça pour vous mettre le moral dans les chaussettes, mais la réalité, c'est qu'on a ce point commun. On a des accidents de la vie plus ou moins graves. Malgré ces accidents de la vie, la vie, à mon sens, vaut le coup d'être vécue. On va passer des moments extraordinaires. On n'a pas le choix, une fois qu'on est là, qu'est-ce qu'on va faire pour être heureux ? Quand j'ai eu mon accident, mon monde s'est écroulé, parce qu'à 18 ans, je n'avais pas prévu de passer ma vie dans un fauteuil roulant. Par contre, j'ai découvert, parce que bien entouré de mes parents, de mes frères, d'amis, parce que le sport, l'humour, l'autodérision sont tout autant d'outils qui m'ont permis de me reconstruire. La vie, ce n'est pas juste la capacité à mettre un pied devant l'autre, c'est la capacité à pouvoir jouir de tout ce que la vie, les rencontres, les émotions peuvent vous procurer. Le bonheur ne se définit pas par votre capacité à mettre un pied devant l'autre. Donc, ça a été ça, pour moi, de jour en jour, de mois en mois, le fait de redécouvrir que je pouvais être un ami, je pouvais être un papa, je pouvais être un amant, un mari, je pouvais être un frère, un cousin, un connard, un mec très sympa, un mec drôle, un mec chiant, un mec qui se plaint, être comme tout le monde. Une fois que la société cesse de m'entraver et me donne les mêmes droits, la même liberté de me déplacer et de vivre ce que vous vivez, "vous", personnes valides... En fait, je dirais à une personne qui vient d'avoir un accident : "Sois patient, ça va être dur, il va falloir te bagarrer, mais si tu as les bons outils en ta possession, il y a la place de vivre une vie sociale épanouie et, globalement, une vie heureuse."

— Sandrine Ciron :  Si tu veux un coup d'un soir, si tu veux faire l'amour dans des champs, dans une voiture, allumer ton mec, bah vas-y en fait. Ton handicap, c'est pas un frein. Je m'appelle Sandrine Ciron, je suis IMC, c’est infirme moteur cérébral. J'ai cet handicap depuis ma naissance et je vis très bien avec. Dès mon adolescence, j'ai toujours aimé séduire et j'ai eu des petits copains comme n'importe quelle fille et tout. Et après j'ai eu des coups d'un soir, j’ai eu des sexfriends, voilà quoi ! Quand j’étais sur les applications j'étais dans une période très compliquée, je m'étais séparée de mon ex et tout ça et j'avais juste envie de m'éclater. Et surtout le truc très important il faut que la personne soit naturelle, il faut pas qu'elle voit le handicap, il faut que la personne voit la femme avant tout. Moi j'ai la chance d'avoir un homme qui est très ouvert sur la féminité, sur la sexualité, sur le désir. Dans notre pays, la sexualité est déjà un sujet très tabou, mais quand on est une femme en situation de handicap, limite on n’a pas de vie sexuelle.

— Alexis Gannat : La question de la sexualité et du handicap est une question légitime. Avoir des questions sur la sexualité de manière générale est tout à fait normal.

— Lydie Gibey : Alors les centres ressources INTIMAGIR, ce sont des centres ressources à destination des personnes en situation de handicap, de leurs proches et des professionnels qui concernent à la fois la vie affective et sexuelle, l'intimité, le soutien à la parentalité et la lutte contre les violences. On va être amené à prendre en compte des personnes qui nous appellent au niveau de la permanence téléphonique, ça peut être des familles, des proches aidants et aussi des personnes en situation de handicap elles-mêmes, des professionnels, avoir des activités en termes d'événements sur les territoires, donc on va pouvoir participer à des forums, on va faire des actions de sensibilisation, d'information.

— Alexis Gannat : On sait qu'on est souvent le premier relais des personnes. Souvent, c'est la première fois qu'elles vont exprimer les questions qu'elles ont, les interrogations. En premier lieu, on pense à la contraception, tout ce qui touche aux règles, la masturbation, les pratiques sexuelles, les fantasmes, ça, on peut vraiment l'aborder. Mais ce qu'il faut vraiment comprendre, c'est que les centres INTIMAGIR sont fait pour accueillir toutes les questions possibles. Il n'y a pas de censure à avoir. J'ai une question liée à la sexualité handicap, je peux appeler le centre INTIMAGIR et en face j'aurai une oreille bienveillante qui pourra entendre ma question et me répondre au mieux. Si tu ne veux pas appeler, tu peux envoyer un mail, passer par l'écrit, c'est parfois plus simple, tu peux demander à rencontrer directement les personnes de manière physique. On a enfin créé des lieux qui pourront répondre à ces questions-là. Donc vas-y, fonce !