Les données, levier du progrès social ?

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L’utilisation des données offre de nouvelles possibilités dont les organismes de protection sociale sont en train de se saisir. Avec la mise en place progressive d’une solidarité à la source, la notion de parcours est au centre des réflexions de l’Etat providence du 21e siècle.

Le Jeudi 2 mars 2023

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L'avis de l'expert

Fabrice Lenglart, directeur de la DREES, nous présente les missions et les travaux en cours de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques. Il précise que les données recueillies par ses services sont organisées par logique de prestations et que leur exploitation a pour but d’offrir une vision centrée sur les usagers. Grâce à son modèle de simulation, la DRESS contribue en amont à la conception des politiques sociales, par exemple, pour préparer la mise en œuvre de la solidarité à la source.

Directeur de la DREES depuis 2020, Fabrice Lenglart a été directeur des statistiques démographiques et sociales à l’INSEE. Avant d’être nommé rapporteur général à la réforme du revenu universel d’activité, il était commissaire général adjoint de France Stratégie.

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Voir Les données, levier du progrès social ? avec Fabrice Lenglart, directeur de la DREES en vidéo

La dématérialisation des données sociales a ouvert des opportunités pour repenser le modèle actuel de la protection sociale et la relation avec les usagers. Le chantier de solidarité à la source s’appuie notamment sur l’exploitation de ces données.

Des données sociales pour une juste prestation

A quoi servent nos données ?

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Les données sociales ne sont pas seulement récoltées sur les réseaux sociaux pour analyser les comportements ou identifier des tendances... Elles désignent aussi les informations détenues par les organismes sociaux pour définir nos droits, , comme un numéro de sécurité sociale, les chiffres de paie, le quotient familial… : ces données permettent de recueillir les cotisations, de calculer les prestations, de déclencher les paiements… Depuis une dizaine d’années, la gestion de ces données s’est dématérialisée à travers les déclarations des employeurs (données de paie) et des organismes de protection sociale (allocations chômage, retraite, maladie). Cette numérisation a permis de mettre en œuvre le prélèvement des impôts à la source. Depuis 2020, la déclaration de ressources mensuelles (DRM), qui agrège toutes ces informations, est un outil essentiel de modernisation de la délivrance des prestations sociales.

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Infographie sur l'utilisation des données sociales pour servir une juste prestation

En considérant que les données déclarées en ligne pouvaient être des outils au bénéfice des droits des salariés, cette dématérialisation visait aussi à créer un écosystème qui articule cotisations et accès aux droits.

Dites-le-nous une fois

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Revenus, numéro de Siret ou de sécurité sociale, chiffres d’affaires… Les entreprises comme les individus doivent souvent répondre à une même question posée par différents organismes. L’Etat s’est appuyé sur la dématérialisation des procédures pour instaurer le principe « dites-nous le une fois ». L’échange des données entre administrations a permis de réduire les sollicitations… mais aussi les redondances, les lourdeurs administratives, les erreurs déclaratives. Les formulaires sont repensés afin de ne demander que les informations essentielles et utiles. Ce « choc de simplification » cherche à créer de la confiance en restreignant la demande de justificatifs. Un document ne doit être réclamé que si nécessaire et si l’administration ne le détient pas déjà.

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Un accompagnement humain à la dématérialisation

Dans plus de 1000 maisons et une centaine de bus France Service, les usagers peuvent bénéficier d’un accompagnement humain de proximité dans leurs démarches administratives. Cela est particulièrement utile pour les personnes éloignées du numérique qui peuvent rencontrer des difficultés à accéder aux différentes plateformes en ligne qui recueillent les déclarations de données sociales : différents organismes sont associés aux réseau France Services comme la CNAF, la CNAM, la CNAV, la CNAM, Pole emploi, la Poste…  

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Voir Le bus France Services : les services publics viennent à vous en vidéo

L’exploitation des données est aussi en train de modifier les modes de calcul et de délivrance des prestations sociales.

La bonne prestation au bon moment

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La dématérialisation des données, avec la création de la déclaration de ressources mensuelles (DRM) qui rassemble les informations de paie et de revenus de remplacement de l’ensemble de la population, permet d’avoir une vision consolidée de l’ensemble des ressources d’un individu en temps réel. La DRM peut être utilisée pour déclencher des aides variables sans solliciter les usagers : cela a été réalisée, en 2021, en croisant des données, pour identifier les bénéficiaires d’une « indemnité inflation ».

Par ailleurs, Le répertoire national commun de la Sécurité sociale (RNCPS) recense les usagers de la Sécurité sociale. Il permet de renseigner les différents organismes sur la situation globale d’un assuré. Ce répertoire sert notamment à s’identifier sur la plateforme www.mesdroitsociaux.gouv : chacun peut simuler ses prestations, faire une demande ou formuler une réclamation.

Les dates clés de la DRM

La déclaration de ressources mensuelles a notamment été utilisé en :

  • 2020 projet de revalorisation des retraites

  • 2021 calcul de la complémentaire santé

  • 2022 expérimentation autour du RSA

L’usage des données sociales permet aujourd’hui d’ouvrir le chantier de solidarité à la source pour améliorer l’accès aux différentes prestations.

Une meilleure accessibilité

Limiter les indus et lutter contre le non-recours

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En exploitant les données sociales, on peut plus rapidement adapter le versement des prestations à l’évolution des ressources d’une personne. Cela permet d’être plus réactif pour répondre aux besoins. Cela limite aussi le risque de versements injustifiés en raison d’erreurs déclaratives. Ces indus volontaires ou involontaires fragilisent de nombreux bénéficiaires qui ont déjà utilisés ces sommes pour s’acquitter de leur loyer ou se fournir en produits de première nécessité. Ces situations alimentent un sentiment d’injustice et d’incompréhension. Les progrès occasionnés par le traitement des données est tout aussi utile pour les administrations qui subissent aussi le contrecoup des indus (complexité de gestion, allongement des temps de traitement).

Les chiffres des indus

Sources : CNAV, CNAM, CNAF

  • 203 M d'€ pour la branche vieillesse

  • 1,6 Mds d'€ pour la branche maladie

  • 1,4 Mds d'€ pour la branche famille

Les indus alimentent le phénomène de non-recours des usagers qui perdent confiance dans le système de protection sociale.

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Le partage et la sécurisation des données peuvent forger des outils efficaces de lutte contre le non-recours aux droits, comme le souligne le rapport Cloarec-Damon. Depuis 2018, les règles de protection nécessaire des données personnelles (RGPD) permettent de s’appuyer sur un cadre fiable pour avancer dans la modernisation de la délivrance des prestations.

La Loi 3DS (pour différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification) a ouvert un chantier « d’administration proactive » qui consiste à informer l’usager de son éligibilité à certaines prestations. Il est aussi possible de lui accorder des droits sans qu’il les réclame. Ainsi depuis 2022, la complémentaire santé solidaire est automatiquement attribuée aux bénéficiaires du RSA (revenu de solidarité active) afin de limiter le non-recours à cette prestation : selon la DREES (direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) un sur cinq ne percevait pas cette aide en 2018.

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Chiffres du non-recours issus des dossiers de la DREES.

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Infographie du non recours sur certains axes (minimum vieillesse, revenu de solidarité active, assurance chômage) et le nombre de personnes concernées

Le datamining et l’intelligence artificielle doivent être les alliés de la lutte contre la pauvreté selon le gouvernement.

La solidarité à la source

Vers un versement automatique des prestations ?

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En 2024, les données sociales seront utilisées pour préremplir les déclarations trimestrielles des bénéficiaires du RSA et de la prime d’activité, de la même manière que cela est aujourd’hui fait pour les déclarations fiscales. La mise en commun des informations détenues par les organismes doit aussi permettre d’identifier et de prévenir les personnes éligibles en situation de non-recours.

La réforme de la solidarité à la source se réalisera en plusieurs étapes. Elle nécessite d’aller encore plus loin dans le partage et l’exploitation des données, notamment pour harmoniser les bases ressources utilisées pour calculer les prestations. Il s’agit aussi de s’assurer que ce chantier ambitieux améliore concrètement l’accès aux droits, sans effets de bords néfastes pour les usagers.

Des expérimentations territoriales zéro non-recours

  • 18 départements tests

  • 3 prestations concernées : RSA, prime d’activité, APL

  • 90 % des allocataires concernées par ces aides au niveau national

La solidarité à la source doit permettre de franchir une nouvelle étape dans la lutte contre le non-recours.

Un nouveau mode de calcul ?

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Cette réforme se veut globale afin de rendre notre système de protection sociale plus lisible : les paramètres de calcul de prestations pourront être revues afin d’harmoniser les bases ressources comme le souhaitent le Conseil d’Etat et la Cour des Comptes. Certaines aides se fondent sur les revenus imposables (comme l’allocation logement) alors que d’autres prennent en compte la quasi-totalité des ressources du foyer (le RSA et la prime d’activité). Le Conseil d’Etat préconise d’exploiter les données sociales pour converger vers deux types de bases : l’une harmoniserait les ressources utilisées pour les prestations de type RSA, ASPA, l’autre concernait les aides fiscales pour les aides attribuées à partir de la feuille d’impôts.

La complexité du système de protection sociale qui s’est construit au fil des ans pénalise des usagers souvent en situation de vulnérabilité… et complique aussi le travail des services gestionnaires.

Des bases de ressources différentes selon les aides

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Tableau montrant les ressources attendues en fonction du domaine

Les données sociales doivent servir à informer les salariés sur leurs droits mais aussi sur les ressources utilisées pour calculer leurs prestations.

Un effet boîte noire ?

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En réduisant l’intervention de l’usager, l’automatisation des données peut aussi créer un effet boîte noire. La réforme de la solidarité à la source doit aussi rendre ces informations compréhensibles aux personnes. 37% des Français affirment souffrir de ce manque de lisibilité, selon la DREES.

Avec la mention d’un montant net social sur chaque feuille de paie dès juillet 2023, les salariés bénéficieront d’un indicateur commun, quel que soit leur statut, leur entreprise ou secteur d’activité. Ce montant net social correspond au revenu net utilisé pour le calcul du RSA ou de la prime d’activité.  Il simplifiera aussi les démarches des usagers qui n’auront pas à réaliser les calculs. Le montant net social s’inscrit dans la réforme de la solidarité à la source : dès 2024, les employeurs devront déclarer « ce montant net social ».

La simplification des prestations doit être complétée par une amélioration des méthodes et des moyens d’accompagnement.

Un meilleur accompagnement

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L’exploitation des données sociales doit aussi simplifier les parcours des personnes dans le système. Les données donnent de nouvelles opportunités pour accompagner les usagers. D’autant que les personnes qui rencontrent de grandes difficultés doivent souvent multiplier les rendez-vous auprès de nombreux intervenants pour faire avancer leurs démarches.

Certains espèrent que le datamining va alléger la gestion administrative pour dégager du temps pour un meilleur suivi des personnes. L’exploitation des données doit permettre de détecter voire d’anticiper les situations les plus difficiles en considérant l’ensemble du parcours d’une personne. L’expérimentation « territoire zéro non-recours » préconise d’aller « chercher les personnes éloignées du système afin de comprendre pourquoi elles ne perçoivent pas les aides et ne sont pas connues de nos administrations ». Des actions de proximité en faveur de l’accès aux droits sont ainsi menées par des acteurs locaux dans plusieurs départements.

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Des territoires d’accès aux droits vidéos

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Voir Accessibilité des droits et services : l’expérimentation « Territoires d’accès aux droits » en vidéo

Et la santé ?

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Une stratégie d’accélération en santé numérique dotée de 718 millions d’euros a été initiée en janvier 2021 dans le cadre du plan France 2030 pour favoriser l’émergence d’un écosystème français en santé numérique. Aujourd’hui près de 150 millions ont déjà été engagés pour financer des projets : programme de médecine prédictive personnalisée, traitement sécurisée des données.

Lancée il y a un peu plus d’un an, monespacesante.fr transforme déjà la relation des patients avec leurs données de santé. Chaque personne peut alimenter son compte avec ses informations personnelles, ses analyses, ses ordonnances et partager ce qu’il souhaite avec un médecin. L’Etat, l’assurance maladie, les entreprises, les mutuelles n’ont pas d’accès à ses données. Un mode « bris de glace » permet d’ouvrir l’accès à des professionnels de santé en cas d’urgence. Une messagerie sécurisée permet des échanges entre patients et médecins. D’autres services enrichissent progressivement cet espace également accessible via une application : agenda de santé, rappels pour examen de contrôle….

Les chiffres de mon espace santé

  • 65,7 M de comptes créés dont 7,9 M activés

  • 3,2 M ont ajouté une mesure à leur profil

  • 10 % visitent l’espace ponctuellement

Les données, un bien commun

Hackathon

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Aujourd’hui, les flux de données sont gigantesques… encore faut-il que ces informations soient fiables. Un nouveau défi a été relevé cette année avec un hackathon sur les données utilisées au moment du départ retraite par la direction des politiques sociales (DPS) de la Caisse des Dépôts dans le cadre d’un partenariat avec l’université de Bordeaux. Depuis trois ans, les membres de la direction des études et statistiques de la DPS partagent leurs données et leur savoir avec les étudiants bordelais. En janvier dernier, ils se sont retrouvés autour d’un data challenge sur la modélisation des départs en retraite. Objectif : trouver un algorithme pour renseigner automatiquement les cadres d’emplois des fonctionnaires dans les formulaires utilisés pour calculer leurs départs en retraite. Aujourd’hui, 30% de ces rubriques emploi-cadre ne sont pas ou mal remplis par les employeurs. Ce hackathon a permis de tester des solutions informatiques capables de mieux les compléter.  Fusion entre hacker et marathon, les hackathon font appel à des compétences transversales et à un esprit d’équipe. Mission réussie pour les participants au challenge qui ont identifié plusieurs pistes d’amélioration.

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Voir Un Data Challenge relevé ! en vidéo

Des data pour innover

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Les données sociales sont aussi des données de recherche. Leur exploitation permet de détecter des signaux faibles, d’identifier de nouvelles pistes, d’imaginer des solutions…. La direction des politiques sociales de la Caisse des Dépôts se saisit de ces données « pour « éclairer de la manière la plus rigoureuse possibles des sujets peu connus afin de les restituer au grand public » explique Ronan Mahieu, responsable des études et statistiques. Une vingtaine de personnes avec des compétences diverses (statistique, mathématique, économie…) creuse à la fois sur des thématiques d’actualités ou des sujets plus prospectifs. Leurs travaux viennent nourrir les actions de la Caisse des Dépôts. Ils répondent aussi aux sollicitations d’autres organismes (régimes de retraite ou cabinets ministériels).

La collection QPS pour « questions de politiques sociales » propose depuis 10 ans des rendez-vous réguliers avec ces thématiques sous différents formats : 

  • des brèves qui proposent des panoramas statistiques accessibles à tous,
  • des cahiers qui approfondissent un sujet en une cinquantaine de pages destiné à des profils plus experts
  • des études qui abordent des sujets de fond dans un format accessible au plus grand nombre.

Un colloque bisannuel « retraite et vieillissement » organisé par la direction des Politiques sociales associent des chercheurs et des opérationnels : statisticiens, chercheurs, sociologues, politistes partagent leurs données et leurs travaux. Un site dédié permet de retrouver l’ensemble des productions réalisées pour l’occasion. Certains articles sont également publiés dans un numéro spécial de l’INSEE. Le prochain rendez-vous a lieu les 19 et 20 octobre 2023.

 

Le rendez-vous

Open data

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L’ouverture de certaines données permet à chacun de s’en saisir et de les exploiter pour créer de nouveaux services ou produire un savoir utile à tous.  La Caisse des Dépôts qui collecte et produit de nombreuses informations a souhaité les mettre à la disposition de tous à travers son portail Open Data, qui propose un espace dédié aux politiques sociales.

Cette base accessible en ligne suit à la lettre les critères de l’Open Data définie en 2005 : disponibilité et accessibilité des données dans un format permettant la réutilisation et la redistribution par tous sans discrimination.