Questions politiques sociales - Les études n°34
Comment les Français envisagent-ils le risque de dépendance ?
Interview de Ronan Mahieu, directeur des études et des statistiques
- De quoi parle l'enquête PAT€R ?
L'enquête PAT€R 2020est une grande enquête financée par la Caisse des Dépôts auprès d'à peu près 3 000 personnes et qui permet de récupérer plein d'informations sur la retraite.
Mais là, plus spécifiquement, on s'intéresse aux questions qui indiquent comment les Français se projettent par rapport à la perspective de peut-être devenir dépendants et quels types d'aides ils pourraient mobiliser ainsi que quels types de financements pour les financer.
- Quels types d'aides, de financements ?
La dépendance est un sujet de politique publique majeur.
On le voit aujourd'hui, au moment où, d'ailleurs, les débats sont relancés sur le sujet avec peut-être la perspective d'une nouvelle réforme législative de la prise en charge de la dépendance.
La Caisse des Dépôts est un grand intervenant en matière de politiques publiques.
Déjà sur les questions de dépendance, elle joue un rôle via, par exemple, le financement des Ehpad, les établissements d'hébergement de personnes âgées dépendantes.
- Quels regards portent les Français sur la dépendance ?
Alors, on a cherché à interroger des personnes avant l'âge où on devient dépendant, donc typiquement des personnes de moins de 80 ans, en leur demandant comment elles se projetaient.
On leur a d'abord demandé : "Est-ce que vous estimez probable
ou pas de devenir dépendant ?"
La première leçon que l'on a, c'est que sur huit répondants, sept considèrent qu'il y a au moins une chance sur deux qu'ils deviennent dépendants.
Tout le monde ne répond pas de la même manière.
On voit que sont plus sensibles au risque de devenir dépendants, et donc le jugent plus probable, les personnes un peu plus diplômées, les personnes qui ont déjà été confrontées à la perte d'autonomie d'un proche et puis surtout les personnes qui se déclarent spontanément en mauvaise ou très mauvaise santé.
Elles sont beaucoup plus nombreuses que les autres à considérer comme probable le risque de devenir dépendantes.
- Quel niveau de connaissance portent les répondants sur les aides ?
On a cherché à savoir d'une part de quels types d'aides ils pensent avoir besoin.
Beaucoup pensent qu'à 80 ans, il est probable qu'ils aient besoin d'aide pour effectuer des tâches ménagères. Beaucoup moins quand il va s'agir de soins personnels, c'est-à-dire faire sa toilette, et encore un peu moins pensent qu'ils auront besoin d'aide pour des troubles cognitifs, mais quand même 22 %.
Plus de la moitié pense avoir besoin d'aide pour les tâches ménagères.
Ensuite, on a cherché à savoir, s'ils ont besoin d'aide, de qui ils voudraient la recevoir.
Très majoritairement, les personnes interrogées récusent l'idée que leurs enfants doivent être amenés à les aider, que ce soit en venant directement leur consacrer du temps ou les aider financièrement.
Cette perspective est très mal vécue par les répondants.
En revanche, quand on leur demande :
"Envisageriez-vous que votre conjoint vous aide", la réponse est plutôt oui.
On voit que, quand on demande aux répondants :
"Si vous aviez besoin de deux heures chaque jour de la semaine", donc un volume d'heures assez important, 45 % des personnes en couple disent d'abord qu'elles souhaiteraient que leur conjoint s'occupe d'elles, seulement 20 % mentionnant un intervenant professionnel.
Et beaucoup, d'ailleurs, n'ayant pas assez réfléchi à la question, vont dire "Je ne sais pas".
Donc, tout de même, 45 % de personnes en couple
qui citent le conjoint contre seulement 20 % un aidant professionnel,
un écart important.
On voit aussi que ça peut traduire à la fois des questions de préférences, on peut comprendre qu'on rechigne à avoir un intervenant professionnel qu'on ne connaît pas forcément intervenir dans son intimité, mais ça recouvre aussi peut-être
des questions de coût.
C'est-à-dire que quand on leur demande s'ils seraient prêts à ce que leur conjoint consente des sacrifices personnels
ou professionnels si ça permet d'éviter de payer une aide à domicile,
ou a fortiori une maison de retraite, beaucoup vont dire : "Oui, je suis prêt à demander de l'aide à mon conjoint, même s'il doit pour cela consentir des sacrifices professionnels ou personnels."
- A quel coût les répondants estiment-ils le coût relatif à la perte d'autonomie ?
La question des coûts et des financements possibles est très structurante dans les réponses.
D'abord, on a cherché à vérifier si les personnes interrogées
avaient une bonne appréhension des coûts effectifs de la prise
en charge de la dépendance en leur demandant :
"À combien, pour vous, revient une prise en charge en maison de retraite ou en Ehpad ?"
Quand on confronte les réponses avec les données administratives
dont on dispose sur la réalité des tarifs, on voit qu'ils anticipent assez bien le coût réel de cette prise en charge.
Quand on demande quels types de financements ils pourraient apporter, on voit plusieurs choses.
D'une part, 90 % considèrent que leur pension de retraite
ne suffira pas à couvrir les coûts et les deux tiers, que même en utilisant l'intégralité de leurs ressources, ils n'arriveront pas à financer
la maison de retraite.
On l'observe dans toutes les tranches de revenus, même si c'est plus marqué chez les personnes plus modestes.
Quand on leur demande quels types de financements
ils pourraient mobiliser justement pour financer une maison de retraite, ils sont assez peu nombreux,
à peine 40 %, à mentionner les aides publiques, notamment l'APA,
l'aide personnalisée à l'autonomie.
C'est assez surprenant car l'APA peut bénéficier à tous.
On peut penser que les ménages les plus aisés ont tendance à ne pas citer les aides publiques car le montant de l'APA diminue avec le revenu, mais il est étonnant que chez les personnes les plus modestes, on ait encore une proportion très élevée de gens qui ne mentionnent pas les aides publiques.
Probablement y a-t-il une méconnaissance de ce que l'APA peut réellement apporter comme montant d'aide pour les personnes
qui doivent aller en maison de retraite.
- L'allocation personnalisée d'autonomie (APA) est méconnue
Probablement qu'un des enjeux est de mieux faire connaître les prises en charge publiques possibles de la dépendance, et notamment l'APA.
En partant de ce constant, on a également cherché à savoir s'ils privilégiaient une liberté d'assurance ou une assurance obligatoire.
La nette majorité se prononçait en faveur de l'assurance obligatoire
pourvu qu'elle permette à tous une prise en charge de qualité, ce qui est un peu le nœud du problème.
L'assurance obligatoire est plutôt bien perçue si elle garantit une couverture de qualité à tous avec, évidemment, les proportions
qui sont favorables ou dépendent un peu des profils, ceux qui anticipent davantage d'être dépendants étant, sans surprise, plus favorables à une obligation d'assurance.