Vers une protection sociale écologique ?

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Notre modèle social est un outil de résilience comme on a pu le vérifier avec la crise sanitaire. Pourtant la dimension environnementale de la protection sociale a longtemps été un impensé… Aujourd’hui, différents acteurs ont fait entrer le sujet dans le débat public. 

Le Mardi 4 juillet 2023

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L'avis de l'experte

Ancienne élève de l’École normale supérieure de Cachan, Mathilde Viennot est docteure de l’École d’économie de Paris. A France Stratégie, elle étudie les questions d’inégalités et de protection sociale. Elle a été auditionnée, en décembre 2021, par la mission d’information « sur une sécurité sociale écologique » du Sénat. Elle a également contribué à plusieurs études de France Stratégie sur cette thématique notamment la note sur les inégalités sociales et environnementales, parue en septembre 2022.

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Le changement climatique, une menace pour la santé humaine

Au cœur de la crise sanitaire, la revue The Lancet a alerté en décembre 2020 sur la convergence des crises sanitaire et climatique en estimant que, sans mesures rapides, le changement climatique menacera de plus en plus la santé mondiale. 

Les effets directs

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Inondations, ouragans, canicules, sécheresse… ces désastres géophysiques nous affectent de plus en plus durement. Ils ont causé 142 000 décès supplémentaires et coûté 510 Md€ au continent européen au cours des quarante dernières années, selon l’Agence européenne de l’environnement. Depuis 40 ans, ces chiffres ne cessent de croître et de mettre sous tension les modèles de protection et les systèmes de soins, notamment en France, où une récente étude de Santé Publique France a mis en évidence les effets des pics de chaleur sur la santé humaine : 33 000 décès peuvent être attribués à des périodes de canicule au cours des douze dernières années. Un tiers des victimes est âgé de plus de 75 ans. 

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Quelques chiffres

Les effets de la chaleur du 1er juin au 15 septembre
(Source : Santé publique France)

  • 33 000 décès

  • dont 23 000 décès de personnes de + de 75 ans

  • 28% des décès surviennent en période de canicule

Les effets indirects

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Les activités humaines sont à l’origine de la pollution de nombreux écosystèmes. Avec 48 000 décès prématurés par an, les particules fines sont responsables de 7% de la mortalité dans notre pays. Elles causeraient une perte d’espérance de vie de près de huit mois pour les personnes âgées de 30 ans, selon Santé Publique France. La pollution peut même entraîner une baisse de performance cognitive, selon l’Inserm.

La pollution a un coût sanitaire selon la Commission d’enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l’air : les pathologies imputables à la pollution de l’air entraînent environ 3 Md€ par an de dépenses de santé. La détérioration des écosystèmes accélère aussi l’émergence de virus dangereux pour les populations humaines. La crise du Covid a mis en évidence les bouleversements que peut causer l’apparition d’une maladie endémique. 

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Eco-anxiété

L’augmentation des températures et des évènements extrêmes a des effets sur la santé mentale, selon le GIEC. L’OMS a établi en 2021 que 12 à 18% des décès en Europe sont dus à des facteurs de stress environnementaux. 

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Les déterminants de santé

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En raison du vieillissement de sa population et d’une forte prévalence des maladies cardio-vasculaires, l’Europe est particulièrement touchée par les effets du changement climatique, notamment ceux liés à la chaleur, selon la revue The Lancet. Le coût social et humain de l’adaptation au changement climatique va croître : par exemple, la mutation nécessaire de certaines filières professionnelles, pour limiter la hausse des températures conformément aux Accords de Paris de 2015, peut nécessiter une prise en charge particulière par la branche chômage.

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Une seule santé pour tous les êtres vivants

 
La notion de « One health » a émergé dans les années 2000 pour définir les liens entre santé humaine, santé animale et état écologique mondial. Il s’agissait d’encourager une coopération des institutions travaillant dans ces différents domaines. Un accord a été signé en 2010 entre l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation mondiale de la santé animale et l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation. 
 

Les défis écologiques sont aussi des défis sociaux

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Nous ne sommes pas tous exposés de manière égale aux facteurs environnementaux : cela dépend de notre lieu de vie, de nos habitudes, de notre activité professionnelle… mais aussi de notre âge, de notre sexe, de la manière dont nous nous alimentons, de nos facteurs génétiques, de notre niveau de vie… Les populations les plus vulnérables semblent aussi les plus exposées aux conséquences du changement climatique, notamment en raison de difficultés d’accès à différents services. Elles peuvent aussi manquer de ressources pour se soustraire à des conditions de vie néfastes : mauvaise qualité de l’air, exposition à la chaleur… Ces inégalités se retrouvent dans le monde professionnel où les personnes qui travaillent à l’extérieur sont particulièrement exposées aux risques climatiques. 

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Focus : Inégalités environnementales et sociales

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Une étude de France Stratégie met en évidence la corrélation entre précarité sociale et exposition aux polluants dans certains territoires. Plusieurs zones concentrent divers types de pollutions. 

  • Les grandes villes où l’air est particulièrement pollué et où vivent des populations avec des niveaux de vie différents. Même si de nombreux cadres habitent dans les métropoles, certains quartiers affichent de fort taux de pauvreté (près de 25% dans le 19e arrondissement).
  • Les zones rurales, qui subissent les impacts de l’agriculture, peuvent afficher de fort taux de pollution des sols. Dans ces zones souvent pauvres, les plus modestes sont aussi les plus défavorisés d’un point de vue environnemental.
  • Les anciennes communes industrielles qui cumulent plusieurs types de pollutions accueillent de nombreux chômeurs ou ouvriers qui sont également exposés à ces émissions néfastes.  

« Nous manquons encore de données pour documenter ce double déclassement car il est difficile de croiser les données sociales, les indicateurs de santé, les états des pollutions mais cela montre qu’il est important de prendre en compte ces inégalités environnementales » souligne Mathilde Viennot, une des auteurs de cette étude.  

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Une protection sociale résiliente ?

Comment anticiper l’imprévisible ?

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En 2022, le Sénat pointe la nécessité « d’anticiper l’imprévisible en adaptant notre société au changement climatique », dans un rapport sur la sécurité sociale écologique. « Il y a aujourd’hui un enjeu d’anticipation des crises » a ainsi souligné Dominique Libault, directeur de l'école EN3S, lors de son audition devant le Sénat. Afin de mieux connaître les risques auxquels la protection sociale devra répondre, la mission sénatoriale a préconisé la réalisation d’une cartographie des risques écologiques, en lien avec la Direction générale de la santé et l’Assurance maladie. Des premiers dispositifs numériques offrent des pistes intéressantes pour créer un outil de mesure de l’impact des risques écologiques sur les dépenses couvertes par la sécurité sociale. Par exemple, la plateforme Green data for health, mise à la disposition des chercheurs, permet de corréler données environnementales et effets sur la santé. 

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Focus : Une mission sénatoriale  

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La mission d’information sénatoriale « Protéger et accompagner les individus en construisant la sécurité sociale écologique du 21e siècle » a remis son rapport en 2022. Elle est présidée par Guillaume Chevallier. Mélanie Vogel est sa rapportrice. Cette mission a réfléchi à la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale pour couvrir l’accroissement des dépenses de protection sociales liées au changement climatique.
Consulter le rapport et l’ensemble des travaux 

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Une approche plus transversale

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La prise en compte des différents risques sociaux et sanitaires liés au changement climatique dépasse le strict périmètre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. La mission sénatoriale sur la sécurité sociale écologique a regretté que la stratégie nationale de santé n’ait aucun lien avec les dispositifs publics d’adaptation au changement climatique, comme la loi de programmation énergie climat. La santé environnementale doit devenir une politique transversale, selon la mission sénatoriale. On peut, par exemple, agir à travers la politique des transports pour limiter les émissions liées au trafic routier et ainsi diminuer le risque de maladies liées à ces polluants ainsi que les dépenses sociales qui en découlent. A cet effet, la santé environnementale pourrait être mieux intégrée dans les études d’impacts des projets de lois ou d’aménagement public.

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Focus : un niveau local plus pertinent ?

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Le décloisonnement des politiques publiques peut être plus simple ou plus rapide à réaliser à l’échelle locale. Plusieurs collectivités, comme la métropole lyonnaise ou grenobloise, ont réalisé des études sur l’adaptation de leurs territoires au changement climatique. Une étude de France Stratégie a cartographié les inégalités environnementales et sociales dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. Ces diagnostics territoriaux identifient les zones les plus vulnérables et les populations les plus à risques afin d’orienter les décisions en matière de transports, de construction, d’alimentation, d’énergie. Une action « décentralisée » permet aussi d’associer les parties prenantes locales aux mesures prises et de susciter une meilleure adhésion des populations.  

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Vers un sixième risque social ?

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La mission d’information sénatoriale a étudié la possibilité « d’élever le risque environnemental au rang de risque social afin de répartir son coût entre les assurés. » Cette proposition veut tenir compte du bouleversement que connaît le monde assurantiel avec la difficulté de modéliser les risques liés au changement climatique. Le secteur des assurances privées s’interroge aujourd’hui sur la capacité de ses outils à prévoir la multiplication des aléas environnementaux mais aussi sur la pertinence de ses méthodes de gestion de sinistre pour prendre en charge la réparation des conséquences subies par leurs assurés.

Les auteurs du rapport sénatorial estiment que « la création d’une sécurité sociale écologique doit garantir une protection aux plus vulnérables » dans ce contexte de changement climatique : en effet, l’effort de transformation risque de s’avérer plus difficile à assumer pour les populations les moins favorisées, souvent plus dépendantes des énergies carbonées. Si la commission sénatoriale a trouvé un consensus sur la nécessité de réfléchir à une couverture sociale des risques environnementaux, elle n’a pas trouvé d’accord sur les modalités de de financement. 
 

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Transformation écologique et financement 
Une éventuelle baisse de croissance consécutive à la transformation écologique peut affecter le financement de notre sécurité sociale, basé sur les revenus du travail. De plus, le coût de l’adaptation de notre économie au changement climatique est aujourd’hui évalué à plus de 60 Md€ par an, selon le rapport de France Stratégie sur « les incidences de l’action économique pour le climat » réalisé par Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry. La nécessité de faire des choix budgétaires peut créer une concurrence entre les différents besoins à financer. 

Quelques chiffres

Le coût des sinistres liés à des événements naturels entre 2020 et 2050
Source : France assureurs

  • 143 Md€

  • 93% soit une augmentation

Focus : une sécurité de l’alimentation

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Une sécurité sociale alimentaire pourrait agir favorablement sur un déterminant de santé majeur tout en luttant contre les inégalités alimentaires constatées dans notre pays. Le rapport sénatorial préconise la mise en place de mécanismes favorisant la consommation de produits plus sains. Cette incitation à une meilleure alimentation pourrait bénéficier à tous les maillons de la chaîne et notamment les agriculteurs.

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Un régime préventif ? 

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La logique curative du système de protection est remise en cause par l’augmentation des risques climatiques. Une approche plus préventive permettrait de réduire les coûts de réparation et d’évoluer vers un modèle de protection sociale plus résilient. Depuis 2017, la Stratégie nationale de santé s’est donnée comme priorité la prévention. Pour tenir compte des nouveaux risques, cette culture de la prévention doit se diffuser dans l’ensemble des politiques publiques : elle ne doit pas se limiter au système de soins mais englober l’origine des pollutions. 

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Le coût de l’inaction

En évitant certains dommages sur notre environnement, la prise en compte des impacts dès la conception des politiques publiques peut avoir des bénéfices en termes de santé publique. Cela permet aussi d’éviter de futures dépenses correctives.

Une santé décarbonée

Une meilleure santé environnementale passe aussi par un système de santé décarboné. La transformation écologique du secteur médico-social est un outil pour adapter nos modes de protection aux futures crises. 

Quelques chiffres

La pollution dans les pays les plus émetteurs en gaz à effet de serre, c'est
Source : OMS, 2021

  • 4% du PIB (si on ne lutte pas contre la pollution atmosphérique)

  • 1% du PIB (si on agit pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris)

Un secteur dépendant des ressources

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Le secteur de la santé est doublement exposé aux changements climatiques : d’une part avec les effets observés sur la santé et d’autre part avec l’impact du système de soins. Avec près de 8% des émissions de gaz à effet de serre, le secteur doit à la fois chercher des substituts aux énergies fossiles tout en se préparant à gérer les conséquences de la dégradation des écosystèmes sur la santé des populations. 
Le système actuel est polluant et très dépendant d’un point de vue énergétique. Les difficultés d’approvisionnement créent aussi des risques pour la pérennité des soins. 
 

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Une approche durable

La décarbonation peut accroître la résilience du système de soins et ainsi lui permettre de se préparer à faire face à de futures crises. 

Quelques chiffres

Le secteur de la santé émet 50 millions de tonnes de CO2 par an
Source : The Shift Project, 2021

  • 54% dus à l'achat de médicaments

  • 20% dus aux transports (patients et soignants)

  • 8% dus à l'alimentation

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Une stratégie bas carbone

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Le secteur de la santé doit parvenir à une baisse des émissions de CO2 de 5% par an jusqu’en 2050 pour respecter les Accords de Paris de 2015. Pour cela, il doit viser une réduction de 80% de ses émissions, en agissant sur différents niveaux :

  • Un effort de réduction sur les principaux postes d’émissions (alimentation, bâtiments, transports sanitaires, déchets, médicaments et dispositifs médicaux…)
  • Une approche transversale englobant des actions de formation et de recherche ainsi que le renforcement du système préventif. Cette logique préventive peut diminuer les coûts de réparation mais aussi alléger l’impact environnemental des soins ainsi évités. Cette approche, notamment préconisée par The Shift project doit créer des co-bénéfices en termes de santé, de climat et de réduction des inégalités. 
     
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Un modèle plus sobre

La seule décarbonation de l’existant ne suffira pas, selon les calculs réalisés par l’association Shift Project : il manquerait encore 30% de baisse d’émissions. Cela nécessite, selon le think tank environnemental, d’évoluer vers un modèle plus soutenable et plus sobre.

Focus : Des services de proximité

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Au cours de son audition devant la mission d’information sénatoriale, France Stratégie a proposé de promouvoir plus de services sociaux et moins de prestations monétaires : « l’allocation des dépenses sur des services publics au service de la protection de la santé et de l’environnement pourrait être plus efficace qu’une politique exclusivement curative » D’une certaine manière, la branche famille a amorcé ce repositionnement en réorientation ses prestations vers plus de services (crèches et gardes d’enfants). Cette stratégie suppose des moyens humains et financiers qui font aujourd’hui défaut mais elle permet, selon France Stratégie, de susciter l’adhésion des usagers au nouveau modèle de protection. Cette approche servicielle offre aussi des outils de maitrise des impacts du système : il est plus simple de limiter le poids carbone d’un service que d’une allocation.

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Focus : des investissements responsables

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La Caisse des Dépôts agit à travers ses différentes filiales en faveur d’un modèle social plus résilient (rénovation thermique des bâtiments, renforcement des actions de prévention …). Elle est un investisseur responsable qui intègre des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) afin d’accélérer la transformation de notre économie. Par exemple, la direction des Politiques Sociales a une action de long terme en faveur de la solidarité intergénérationnelle à travers des placements ISR (investissement socialement responsable de l’Ircantec, notamment. Depuis 2009, l’Institution de retraite complémentaire a adopté une gestion ISR de ses réserves afin de préserver les intérêts de ses bénéficiaires à long terme. En intégrant des critères extra financiers à ses placements, l’Ircantec investit dans une économie qui préserve les ressources naturelles et humaines. Les critères priorisés peuvent concerner la lutte contre le réchauffement climatique, les modes de gouvernance ou les politiques de non-discrimination. En 2021, l’Ircantec a reçu le prix de la meilleure initiative en faveur de la prise en compte des objectifs de développement durable dans sa politique d’investissement responsable.

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