— Emmanuel Lacroix : Je m'appelle Emmanuel Lacroix, je suis le directeur de projet santé et grand âge dans la direction des politiques sociales de la Caisse des Dépôts.
Question : C’est quoi être proche aidant ?
Dans mon cas de figure, je suis proche aidant puisque je suis père de trois enfants dont deux ont une reconnaissance de handicap par la MDPH. 19 ans pour le plus grand, Léonard, le deuxième a 17 ans, Félix, et le troisième, César, a 13 ans. Accessoirement, j’ai été aussi proche aidant de mes parents qui étaient tous les deux malades et âgés, donc il y avait une multiplication de sujets d’aidance autour de moi. On n’a pas les mêmes sujets de handicap selon mes enfants. Il y en a un qui a plutôt un handicap cognitif pour lequel c’était beaucoup de rendez-vous d’orthophonie, de psychomotriciens, de psychologues, et ça nécessitait de la présence et de la logistique et beaucoup d’énergie au quotidien. Et puis l’autre, c’est plutôt des moments assez forts, assez intenses, puisqu’il est amputé d’une jambe et chacune de ses opérations a représenté un investissement d’énergie, de temps, d’émotion extrêmement fort.
Question : Et comment ça se passe pour eux aujourd’hui ?
Aujourd’hui, ça s’est considérablement allégé puisque mon enfant qui est amputé a aujourd’hui 17 ans et vient d’avoir le bac. Il va rentrer en prépa, il est très chouette, très dynamique, très sportif. Il a passé une bonne étape et il devient très autonome sur le suivi de son handicap. Pour le dernier, on a passé un cap important. Au fil du temps, il se débrouille quand même beaucoup mieux qu’avant. Ça a allégé énormément le temps qu’on y consacre. C’est moins un sujet médical aujourd’hui, plus un sujet de quotidien.
Question : Comment on organise son quotidien en tant qu’aidant ?
Je pense que c’est pas possible d’être proche aidant, de travailler à temps plein et de s’occuper à la fois de trois enfants dont deux handicapés, sans parler des parents, ça fait trop. Ma femme travaille aussi à temps plein, donc on est obligés de se répartir la charge et de le faire en fluidité, en simplicité, avec, par moments, un système de balance où l’un s’occupe plus des enfants, à d’autres moments c’est l’autre, et à des moments, c’est équilibré. Je pense que c’est indispensable de se répartir les choses comme ça. Et puis, il ne faut pas négliger le fait que handicap ou pas handicap, quand on a trois enfants, il y a énormément de bonheur, de moments joyeux, qui donnent l’énergie pour les moments plus difficiles. C’est de l’énergie, du temps, mais ça se fait.
Question : Est-ce que ton entreprise te facilite ta vie d’aidant ?
La Caisse des Dépôts a aussi contribué à rendre les choses simples et faciles en aménageant les moments de travail et d’aidance en fonction des contraintes que je rencontrais. La Caisse des Dépôts offre un cadre facilitateur pour ce genre de problématique. J’ai eu notamment des temps importants qui étaient prévus par la convention collective pour les opérations de mon fils, en tout cas pour les plus grosses, pour son amputation notamment. Le fait d’avoir pu faire un break à ces moments-là, en dehors de mes congés payés, c’est un congé spécifique d’aidance, ça a beaucoup compté. Le fait d’avoir ce moment pour moi était vraiment nécessaire.
Question : Tes collègues ont-ils été compréhensifs ?
En très positif, j’ai envie de souligner surtout ce point, j’ai le souvenir d’une opération très lourde, concrètement c’était l’amputation de mon fils, et toute mon équipe a été d’une bienveillance extraordinaire. Je l’ai senti et je suis conscient que ça avait un impact sur moi professionnellement parlant. Il y a eu toujours des mots gentils et un entourage bienveillant. Ça m’a beaucoup marqué. Je voulais vraiment souligner ce point, c’est qu’une opération, un moment dur lié au handicap, mais ça peut être pareil avec une maladie, ça ne s’arrête pas à la semaine de l’opération. C’est pas parce que votre fils se fait amputer le lundi que ça ne va pas le lundi et que le mardi vous allez bien. Ça, c’est fondamental. Le handicap, mais c’est pareil avec la maladie, c’est un temps long. On n’a pas juste un moment où c’est difficile, souvent ça s’étale plus.
Question : Ta formule magique pour être proche aidant ?
Je pense que notre recette a été de ne jamais lâcher l’affaire. On est assez combatifs. On s’est bagarrés sur plein de sujets liés au handicap pour ne pas accepter l’absurde ou l’injustice. C’est un point de l’intransigeance qui me paraît fondamental et qu’on a toujours appliqué. Le deuxième point, c’est que, mais ça, c’est très personnel, on n’a jamais été dans le misérabilisme, et je suis très content de ne pas l’avoir été quand je vois mon fils qui est amputé pratiquer aujourd’hui du foot en club, pratiquer du tennis à bon niveau, du tennis de table et du badminton. Il est hyper dynamique. Je prends l’exemple du sport, je pourrais parler d’autre chose, mais c’est une grande satisfaction de voir que mes enfants ne se sont pas mis de limites, sont eux-mêmes très à l’aise avec leur handicap, ne se mettent pas de barrières dans la vie et qu’ils y vont franchement. C’est une manière d’être au monde, ce n’est pas la seule, mais c’est la leur et elle me plaît.