"Handi Flash."
-Bonjour à tous. On se retrouve pour un nouvel épisode de « Handi Flash », un podcast réalisé par la Caisse des Dépôts qui s’intéresse aux journées dédiées au handicap. Nous sommes le 23 mars 2024 et aujourd’hui c’est la Journée nationale du sport et du handicap. Pour en parler, je suis avec quelqu’un d’expert en la matière. Il est quintuple champion paralympique, biathlète, fondeur. Il s’agit de Benjamin Daviet.
Bonjour, Benjamin. Merci beaucoup de m’accueillir chez toi. On va rentrer dans le vif du sujet. Tu viens de rentrer du Canada, où tu étais pour les championnats du monde de para-biathlon. Bravo pour tes médailles !
-Merci.
-Pas trop dur, le retour, avec le décalage horaire ?
-Si, c’est un peu compliqué, là. Le plus dur du décalage horaire, c’est le retour en France. Là, avec un jeune bébé de 7 mois et demi, je me réveille un peu la nuit, mais elle se lève un peu tôt, donc je fais pas mal de coupures, je fais un peu le yo-yo dans la journée à rester éveillé, à ne pas dormir, à avoir des coups de mou... Donc, oui, c’est un peu compliqué.
-Est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?
-Je m’appelle Benjamin Daviet, j’ai 34 ans, je suis membre de l’équipe de France de para-ski nordique et biathlon depuis 2011. J’ai un gros palmarès, on peut le dire. J’ai été porte-drapeau de l’équipe de France aux Jeux Paralympiques de Pékin en 2022, ce qui a aussi conclu, on va dire, toutes ces années en termes d’expérience, de palmarès et d’esprit d’équipe et de valeurs aussi, qu’on peut incarner dans le sport et dans le milieu pour être nommé porte-drapeau. C’est vrai que j’ai eu une très riche carrière, que je compte encore développer aussi encore quelques années.
-Bravo ! Tu fais partie de l’équipe de France de handisport. Raconte-nous un peu ton histoire. Le handicap, est-ce que c’est depuis toujours ou pas ?
-Moi, j’ai eu un accident de mobylette en juillet 2006, donc à l’âge de 17 ans. Je me suis fracturé le condyle interne, c’est un os qui est à l’intérieur du genou. En soi, rien de très grave, c’était juste une fracture. Et suite à l’opération, j’ai attrapé un staphylocoque doré. Le staphylocoque m’a tout rongé le cartilage, l’articulation, un peu tout ce qui se trouve à l’intérieur du genou. Ce qui fait que maintenant, j’ai une arthrodèse naturelle, ce qui fait que j’ai zéro flexion sur mon genou, j’ai une jambe qui est totalement raide en extension.
Suite à ça, j’ai fait mes études en parallèle, en plomberie et chauffagiste, et j’ai travaillé en tant que plombier jusqu’en décembre 2014. Je suis rentré en équipe de France en mars 2011, mais je me suis remis au sport seulement en décembre 2010, parce que je ne savais pas qu’on pouvait faire du sport en situation de handicap. Quel sport pratiquer aussi en fonction du handicap.
-Qu’est-ce qui t’a aidé, du coup ? Comment tu t’es orienté ?
-En fait, c’est une personne qui habite dans ma station, dans mon village au Grand-Bornand, qui tient une section handisport en ski alpin, et il m’a proposé de faire du ski alpin. Ça n’a jamais été trop fait pour moi. J’ai fait du ski de fond de mes 10 à mes 14 ans en tant que valide. Et en fait, je voulais aussi retourner dans cette discipline que j’aime tant parce que c’est un peu un sport nature : on est à l’extérieur, beaucoup couplé avec la forêt, et c’est une sensation de liberté aussi, et de dépassement de soi, d’effort physique, énormément de mental aussi sur cette discipline. C’est beaucoup d’aspects qui m’ont apporté à redécouvrir et à me relancer dans cette discipline.
-Et du coup, tu en es arrivé au para-biathlon. Pas tout de suite ?
-Ce qu’il faut dire, c’est qu’en équipe de France de para-ski nordique et biathlon, c’est une seule et même équipe, donc on a la possibilité de faire les deux. Moi, en ayant découvert le biathlon aussi en même temps, j’ai décidé de pratiquer les deux. Donc oui, ça fait un peu plus d’entraînement, un peu plus de compétitions, mais après, si on le gère correctement, ça peut nous permettre de faire un peu plus de courses, donc potentiellement un peu plus de médailles aussi. Ce n’est pas tout simple à gérer quand même, les deux. C’est aussi des efforts un peu différents.
-Justement, j’allais te demander : pour les auditeurs qui nous écoutent et qui ne savent pas, est-ce que tu peux expliquer un petit peu comment ça se passe en para-sport, ces disciplines ?
-Pour moi, en ski de fond, il y a quatre disciplines. Il y a le KO sprint, qui se parcourt sur une boucle qui fait 1,6 km environ. On a des épreuves de qualification le matin. Deux heures après, on a les demi-finales, et deux heures après, les finales. Ensuite, on a le 10 km, soit en skating, soit en classique. Skating, c’est, on va dire, comme le patin à glace ou le mouvement du roller. Et le style classique, c’est comme de la course à pied dans des traces avec des skis un peu plus grands, en fart d’accroche. Et ensuite, on a le 20 km, qui demande un effort, on va dire, sur une moyenne de 40-50 minutes. Et ensuite on a le relais, un relais par équipe qui se fait sur une boucle de 2,5 km avec quatre passages. Et ensuite, en biathlon, c’est sur une boucle de 2,5 km, donc on fait trois fois 2,5 km. On fait deux tirs, anneau de pénalité par cible ratée. Sur un tir, on doit tirer cinq balles sur une cible, et le but, c’est de faire basculer les cibles, et si on rate une balle, c’est anneau de pénalité. Après, on a le biathlon moyenne distance, c’est sur 10 km, avec quatre tirs, anneau de pénalité par balle ratée. Ensuite, on a le biathlon individuel, 12,5 km, quatre tirs, une minute par balle ratée. Donc là, c’est…
-Wow ! Ah oui…
-Là, le tir joue vraiment son rôle, puisqu’une minute, c’est énorme. Sur les skis, on ne les rattrape pas comme ça sur les adversaires. Donc c’est un peu, on va dire, la discipline phare du biathlon. Et depuis peu maintenant, on a une nouvelle discipline, c’est le sprint-poursuite. Là, c’est sur une boucle qui fait 1,2 km. Le matin, on fait un sprint avec deux tirs, et l’après-midi, on repart avec les écarts du matin pour faire la poursuite et, à la suite de la poursuite, ça fait le classement général de cette discipline. Donc c’est une journée très, très longue.
-Effectivement, tu dois être bien fatigué à la fin d’une journée comme ça.
-Oui, parce que c’est deux courses en une journée, donc c’est très long et c’est un effort très court aussi, donc très dynamique, très épuisant.
-Et quelles sont les bonnes pratiques ? Est-ce que tu as des rituels pour te mettre en condition ?
-Le sommeil, très important pour la récupération.
-Tu dors beaucoup ?
-Alors, oui et non. Moi, je suis quelqu’un qui dort, on va dire, beaucoup en fin de saison, parce que j’essaye de peaufiner vraiment tous mes entraînements correctement, jusqu’à atteindre un pic de forme choisi dans l’année pour certaines compétitions.
-Ah oui, tu sélectionnes en fonction des compétitions ton rythme de vie un peu de sommeil.
-C’est ça. Tu cibles pour pouvoir aller chercher les médailles ou la gagne. Donc, forcément, ça se calcule aussi avec le staff qui nous entoure pour justement aller chercher vraiment ce pic de forme.
-OK. Tout à l’heure, tu parlais de plomberie. Là, tu es plutôt sur du sport, mais du coup, est-ce que tu as un métier aussi à côté ou pas ?
-Effectivement, j’ai arrêté la plomberie en décembre 2014, parce que j’avais les championnats du monde en février 2015 et je voulais vraiment axer ma préparation pour les championnats du monde. Ça a plutôt très bien fonctionné, parce que j’avais fait trois médailles d’argent, une médaille de bronze en individuel et on avait gagné le relais. C’était notre premier titre de champions du monde aussi et donc quelque chose d’incroyable à vivre. Et suite à ça, derrière, j’ai signé un contrat avec le ministère des Armées. Donc je fais partie de l’Armée de Champions, comme beaucoup de sportifs de haut niveau. Donc je suis civil de la défense, comme beaucoup d’athlètes paralympiques, contrairement aux athlètes valides ou olympiques : eux ont un statut militaire. Ça me permet d’être libéré à plein temps et de m’entraîner tous les jours sans avoir le souci de me dire : « Comment je vais gagner ma vie ? Est-ce que je m’entraîne correctement ? » Donc là, on est libérés pour nous entraîner, on a un salaire tous les mois. Grâce à ces contrats-là, ça nous permet aussi d’être sereins, et c’est aussi de représenter encore plus notre pays, et les valeurs qu’a l’armée, c’est nos valeurs aussi sportives. Et là-dessus, c’est chouette de partager ça avec eux.
-Bravo ! Tout à l’heure, tu nous parlais de compétitions. Tu as participé à plusieurs éditions des Jeux Paralympiques. Est-ce que tu peux nous en parler ?
-Oui. Mes premiers Jeux Paralympiques, c’était aux Jeux Paralympiques de Sotchi en 2014, en Russie. C’était mes tout premiers Jeux. Très belle expérience de prise, et ce qui a fait augmenter aussi ma carrière derrière, mon niveau aussi physique et mental. Deuxième édition des Jeux Paralympiques en 2018, aux Jeux Paralympiques de PyeongChang. Là, ça a été le Graal du Graal : on décroche l’or par équipe en ski de fond, je refais deux médailles d’or en individuel en biathlon, une autre médaille d’argent aussi en biathlon. Donc cinq médailles, j’étais le sportif français le plus médaillé. Grande fierté aussi pour tous ces efforts qu’on…
-Qui payent.
-Oui, et qu’on met tout au long de l’année. Parce que, mine de rien aussi, c’est.. On ne va pas dire des sacrifices, parce qu’on a choisi cette vie-là, mais on voit quand même un peu moins sa famille, on sort beaucoup moins, on sort même très peu, parce qu’on axe vraiment toute notre vie sur notre sport, nos résultats sportifs. Donc c’est une grande fierté d’atteindre le Graal quand on met toutes ces choses en place. Donc ça, c’est vraiment chouette. Et puis l’apothéose sur les Jeux de Pékin 2022, où j’étais le porte-drapeau de la délégation française, et je refais deux médailles d’or et deux médailles d’argent. J’ai atteint le Graal en termes de résultats sportifs, mais aussi en étant porte-drapeau, ce qui est juste quelque chose d’immense, de représenter la délégation française, mais aussi son pays. Ce n’est pas donné à tout le monde d’être porte-drapeau, dans une carrière. Et le fait de rentrer dans ce petit comité d’athlètes, c’est une immense fierté sur son palmarès.
-Et tu parlais à l’instant de moins voir ta famille et tes amis. Comment se joue l’équilibre vie pro/vie perso quand on est sportif de haut niveau ? Est-ce qu’on trouve un équilibre ?
-Oui, on trouve un équilibre, parce que c’est… Le peu de temps qu’on passe avec sa famille, c’est de la ressource aussi énergétique et mentale qui fait du bien, on en a besoin. Et c’est surtout que, quand on repart en compétition, on est chargé à bloc et on a envie aussi de réussir pour eux. Et du coup, c’est de partager aussi après ces résultats avec la famille et même les copains, l’entourage, tous ceux qui nous suivent : les partenaires, les sponsors… Donc c’est très important de se ressourcer aussi auprès de sa famille.
-Donc là, tu es devenu papa récemment d’une petite fille. Est-ce que ça t’a fait peur de te dire… À la fois sportif, à la fois ton handicap, comment tu as appréhendé la parentalité ?
-Moi, j’ai toujours rêvé d’être papa, et c’est vrai que j’ai mis un peu de temps à l’être parce que j’ai mis beaucoup de choses en place dans… Ma vie sportive était en priorité, c’est pour ça qu’on a fait un bébé un peu tard, on va dire. Mais maintenant, c’est le bonheur. Après, c’est sûr que c’est une gestion un peu différente, parce que c’est un bébé, donc au début, ça ne dort pas, ça mange toutes les deux heures… Donc, pour s’entraîner, c’est un peu compliqué. Mais après, c’est une gestion aussi avec la maman et c’est de s’organiser correctement pour que les choses se passent bien, que ce soit pour le bébé, pour les entraînements et pour la vie de famille. Après, tu as encore plus envie de réussir aussi pour… Quand tu rentres à la maison et de te dire : « Regarde ce que papa a ramené : une jolie petite médaille ! » Une petite peluche aussi qui lui sert de doudou, maintenant. C’est le bonheur et c’est vraiment un moteur de motivation qui est encore plus grand que sans bébé, parce que maintenant, tu as envie d’apporter encore toutes ces choses, et plus tard, aussi, qu’elle te voie, on va dire, peut-être comme son super-héros.
-C’est ça. Justement, en parlant d’enfants, la pédagogie, visiblement, tu connaissais déjà un petit peu. Est-ce que tu peux nous parler de La Relève et puis des écoles que tu vas voir ?
-Effectivement, maintenant, depuis quelques années, le Comité paralympique… Un sportif français a mis en place un système qui s’appelle La Relève. On peut s’inscrire via le site du Comité paralympique sportif français. Et suite à ça, en fait, c’est des tests physiques qui sont mis en place, différentes choses aussi : ils évaluent aussi les différents handicaps, tout ça, et des tables rondes où on peut découvrir tous les sports paralympiques avec tous les entraîneurs de chaque discipline. Et on peut aller se questionner, voir aussi comment ça se passe et, en fonction de son handicap aussi, de se dire : « Tiens, je peux faire ce sport », alors qu’avant, je ne pensais pas pouvoir pratiquer cette discipline ou un sport tout court, en fait. Et c’est un système qui marche très, très bien. On a découvert aussi des jeunes pépites, des champions maintenant paralympiques, qui sont passés par La Relève il y a quelques années. Et c’est un système qui est très, très bien, et je souhaite vraiment à toutes les personnes qui sont en situation de handicap, qui sont jeunes, à vraiment aller voir sur le site du Comité paralympique pour justement prendre toutes ces informations et peut-être avoir aussi des jeunes, derrière, qui vont aussi faire grandir le milieu paralympique et, pourquoi pas, dépasser les champions que nous sommes. Et après, en parallèle, je me rends aussi dans des écoles justement pour parler de l’athlète en situation de handicap ou l’humain en situation de handicap, pour qu’il y ait zéro barrière dans les écoles et leur faire comprendre que ce n’est pas parce qu’on est en situation de handicap qu’on est différent, bien au contraire : on est des humains comme tout le monde et on peut faire des choses incroyables avec un handicap et avoir une vie même parfois plus heureuse que certains. Et en fait, ce n’est pas un handicap qui va mettre des barrières, bien au contraire.
-Quels conseils, du coup, tu donnerais à des jeunes athlètes qui aspirent à une carrière olympique ?
-De croire en ses rêves. Oui, de croire en ses rêves, de ne jamais douter de soi et de foncer sur ses objectifs qu’on peut se fixer. Et avant tout, c’est du travail, de travailler, travailler, travailler pour atteindre ses rêves, ses objectifs, et aussi être curieux de savoir ce qui se passe autour pour encore aller chercher plus haut et plus loin.
-Enfin, j’aurais une dernière question : quel message tu aurais pour ceux qui nous écoutent ? En particulier, peut-être, pour les jeunes sportifs.
-De se dire que, même si on est en situation de handicap, on peut faire un métier comme tout le monde, on peut faire du sport comme tout le monde. En vrai, on peut faire énormément de choses. C’est surtout de se donner les moyens et de vivre sereinement, sans penser à l’accident qui a pu avoir lieu ou toutes ces choses-là. C’est une belle famille et il ne faut pas hésiter à aller la partager.
-Super ! Un immense merci, Benjamin, pour ton témoignage.
-Merci à vous.
-C’était passionnant. Une belle carrière.
Afin de toujours plus favoriser l’inclusion des personnes en situation de handicap dans notre société, commençons par mieux connaître les maladies qui les touchent. Pour plus d’informations sur les actions mises en place par la Caisse des Dépôts sur le handicap, rendez-vous sur https://politiques-sociales.caissedesdepots.fr/