Finance responsable et protection des écosystèmes
Le Vendredi 10 janvier 2025
L’Ircantec, régime de retraite géré par la Caisse des Dépôts, a réuni le 5 décembre dernier des experts de différents horizons lors d’un événement consacré aux liens de la finance responsable avec les enjeux de protection des écosystèmes.
L’Ircantec, pionnière en ISR, avec l’appui de la Caisse des Dépôts
Au travers de ses gestions, la Caisse des Dépôts, et plus particulièrement sa direction des politiques sociales (DPS), se donne pour objectif de faire progresser l’investissement socialement responsable. L’Ircantec, pionnière en la matière, bénéficie donc largement de l’expertise des équipes de la direction des finances de la DPS et organise tous les ans un évènement centré sur une thématique novatrice en lien avec son positionnement d’investisseur responsable.
En savoir plus sur la politique ISR de l’Ircantec
L’événement du 5 décembre dernier a rassemblé une soixantaine d’experts. Après des prises de paroles de Christophe Iacobbi, président du Conseil d’administration de l’Ircantec et de Myriam Métais, directrice des finances à la direction des politiques sociales de la Caisse des Dépôts, les deux tables rondes rassemblant professeurs d’universités, consultants spécialisés et investisseurs ont permis de confronter les points de vue et d’alimenter les réflexions. Les participants ont apprécié la qualité de ces interventions, leur permettant d’explorer des pistes de réponses.
Dans un environnement en perpétuel mouvement, la pertinence et l'efficacité d'une stratégie d'investissement intégrant les enjeux sociaux et environnementaux majeurs sera aussi de savoir être résiliente […] j'ai donc souhaité que l'on s'interroge sur comment préserver et améliorer l'équilibre des écosystèmes. La valorisation du capital financier, la protection du climat, la protection des écosystèmes, naturels, et la construction d'un avenir équitable et acceptable pour l'humanité. C'est s'interroger sur les différentes formes de gouvernance.
Christophe Iacobbi, Président du Conseil d'administration de l'Ircantec
Comprendre la biodiversité pour mieux la préserver
En ouverture des débats, un point de vue interdisciplinaire a été proposé afin de comprendre les enjeux liés à la préservation de la biodiversité, étape essentielle pour imaginer des solutions efficaces.
Frédérique Chlous, anthropologue au Muséum d'histoire naturelle de Paris, a évoqué des études en cours qui s’intéressent aux valeurs de la biodiversité. Elle décrit particulièrement trois valeurs identifiées :
- La valeur instrumentale, qui correspond aux bénéfices pour les humains de la biodiversité, c’est-à-dire les ressources en nourriture, bois de chauffage, médicaments, etc.
- La valeur intrinsèque, correspond à la valeur de la biodiversité pour elle-même. Il s’agit de considérer la biodiversité en dehors des humains, de considérer qu’elle a aussi des droits en dehors des ressources ou de ce qu'elle satisfait pour les humains. Ce repositionnement permet de rappeler que la biodiversité actuelle est le résultat des processus d'évolution sur des millions d'années, et qu’elle va continuer à évoluer, à s'adapter à des crises que l'on peut connaître.
- La valeur relationnelle, correspond à la manière dont les différentes sociétés humaines avec leurs caractéristiques propres, entrent en relation avec cette nature. Par exemple, au niveau individuel, les émotions qu’elle procure et qui sont à la base de création artistique : chants, des danses, des grands mythes…
Toujours dans cette phase d’ouverture les relations entre les sociétés humaines et la nature ont été évoquées sous l’angle des politiques de préservation. L’illustration concrète des aires marines protégées, présentée par David Mouillot, spécialiste de la dynamique des systèmes marins au niveau mondial, a permis de montrer que les zones protégées sont un outil clé de préservation de la biodiversité, avec toutefois une efficacité limitée par l'absence de mesures de surveillance et de monitoring de la biodiversité et des pressions humaines. Grâce à l'intelligence artificielle et des modélisations de scénarios de pression humaine, des signaux prédictifs peuvent être établis pour alerter et protéger les écosystèmes.
Quels leviers pour la transition énergétique et sociale ?
Par la suite, l’intervention de Philippe Jourdan, professeur à l’IAE Paris Est, s’est portée sur les liens entre politiques de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et souveraineté économique. Afin de permettre aux acteurs économiques et aux politiques publiques d'agir de manière stratégique pour favoriser le développement de solutions durables, il s’intéresse aux modalités de la souveraineté économique dans sa contribution à l’accélération de la transition énergétique et sociale. Selon lui, en favorisant une interdépendance maîtrisée, la souveraineté économique aiderait à renforcer la résilience des économies face aux chocs externes, essentiel pour assurer une transition énergétique et sociale stable et durable. Elle faciliterait la prise de mesures stratégiques et la promotion des modèles économiques durables et résilients.
Pour Hubert Rodarie, président de l’AF2i, il est nécessaire de remettre de la responsabilité dans la chaîne de l'investissement aujourd'hui. Selon lui, les freins à la mise en place d’'investissement compatible avec l'équilibre des écosystèmes sont liés à une perte de responsabilité, que les investisseurs subissent du fait d’un excès d'encadrement. Pour que les investisseurs institutionnels contribuent plus à l'équilibre des écosystèmes, il est important de replacer leur capacité à agir de manière responsable envers l'environnement et les concitoyens. Les entreprises peuvent contribuer à la justice sociale, à la transition écologique et au développement local en favorisant la production locale et les circuits courts, en investissant dans des structures propres et des solutions énergétiques renouvelables, et en valorisant le patrimoine culturel et les savoir-faire locaux.
La Caisse des Dépôts, est également convaincue de la nécessité de s'engager fortement dans le financement et dans la sélection des investissements responsables. Elle l'est en tant qu'investisseur, mais aussi en tant qu'institution financière consciente des risques dont le réchauffement climatique est porteur sur la stabilité de nos systèmes économiques et sociaux.
Myriam Métais, Directrice des finances à la direction des politiques sociales - Caisse des Dépôts
La transition énergétique : un défi majeur pour la société industrielle
Dans les propos de Victor Court, ingénieur en sciences de l'environnement et économie, les questions de transition énergétique sont au cœur des défis à relever. Une vraie transition énergétique impliquerait des changements significatifs dans les modes de vie, tels que la réduction des voyages en voiture et la diminution de la consommation de biens. Les plans de transition pour accompagner la décarbonation des investissements sont par ailleurs essentiels. Frédéric Samama, spécialiste de la finance durable, invite les acteurs de la finance durable à passer urgemment à l’action, en alignant les portefeuilles avec les objectifs de durabilité, incluant des risques sociaux et liés à la nature.
La finance durable : défis et enjeux actuels
Un des constats phares partagés par les intervenants et est celui que les investisseurs se heurtent à la réglementation, notamment européenne, complexe, ce qui freine l’efficacité des stratégies d'engagement. Claire Chaves d’Oliveira, spécialiste de la finance durable chez A2 consulting, a dressé un panorama des lexiques, de la taxonomie et des définitions … qui peuvent paraître contradictoires. Laure Delahousse, directrice générale de l'association française de la gestion financière, l'AFG, et administratrice de l'observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises, a d’ailleurs insisté sur l’importance de la simplification de la réglementation et des taxonomies pour redonner du sens aux objectifs de l’investissement durable.
L’importance de la qualité des données pour mieux diriger les investissements est également prépondérante. Il est nécessaire de mettre en place un contrôle de cette qualité, dès la source, afin de signaler d’éventuels problèmes et obtenir de meilleures données. À ce sujet, Véronique Blum, maître de conférences en comptabilité et finance d'entreprise, et membre du panel scientifique de l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group ou Groupe consultatif européen sur l'information financière)1 présente le projet de construction d’une plateforme opensource répertoriant l'ensemble des outils à la disposition pour aider les entreprises à produire des données, utiles et de qualité.
Ainsi, pour bien prendre en compte les risques liés à la nature, la démarche d’investissement durable doit réussir à jongler avec trois enjeux forts :
- comment quantifier les impacts financiers ?
- comment mesurer le risque de transition, comme pour le carbone, pour lequel les objectifs sont clairs, ou pour les zones protégées ? Est-ce qu'on arrive à faire des trajectoires sectorielles et à mesurer des désalignements ?
- comment résoudre les tensions avec certains objectifs climatiques et sociaux ?
Selon Alexandre Garcia, superviseur des établissements de crédits et des assureurs à ACPR, au sein de la Banque de France, une des réponses à ces questionnements réside dans la mise en place de plans de transition permettant de faire cette synthèse entre les différentes urgences, humaines, climatiques et de biodiversité. Ils doivent être construits dans la limite de nos données actuelles et encadrés par des outils de filtrage, voire de sanctions. Cette stratégie d'engagement est essentielle pour les sociétés de gestion, les investisseurs et les entreprises. Elle implique un dialogue actionnarial quotidien, des politiques de vote lors des assemblées générales, des recommandations de gouvernance d'entreprise et des coalitions d'actionnaires.
Après cette matinée d’échange, un consensus s’est dégagé sur le besoin d’un engagement des parties prenantes en matière d’ISR, qui ne doit pas se résumer à un focus sur un tableau de bord et des données « parfaites », mais qui demande d'aller à la source par le dialogue pour aboutir à une transition inclusive, juste et qui permette de faire face à tous les risques climatiques et de biodiversité.
1L’EFRAG est une association à but non lucratif. Créé en 2001 avec le soutien de la commission Européenne à laquelle il fournit des conseils techniques dans le domaine de la durabilité.