— Soni Siecinski : Je suis en situation de handicap depuis ma naissance. Je suis né avec une malformation à la main gauche, ce qui fait que j'ai deux doigts, le pouce et le petit doigt. Et voilà, c'est comme ça que je suis. Je m'appelle Soni Siecinski, j'ai 24 ans et je suis violoncelliste. Étudiant encore au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et en professionnalisation, je viens de rentrer dans l'ensemble Appassionato.
Question : Comment as-tu découvert la musique ?
J'ai grandi avec deux parents qui sont dans les métiers artistiques. Ma mère est peintre et mon père est galeriste. J'ai aussi une sœur qui a quatre ans de plus que moi, qui faisait déjà du piano quand j'étais tout petit. C'est comme ça que j'ai pu découvrir la musique. Mon premier instrument, c'était le piano. Sept doigts, ce n'est pas forcément très pratique pour en jouer, mais j'en ai fait pendant plus de dix ans.
Question : Comment en es-tu arrivé au violoncelle ?
L'envie qui m'était très chère, quand j'étais petit, c'était de faire du violon. L'approche était un peu compliquée avec l'instrument, alors j'en suis venu au violoncelle, qui était un peu plus grand, donc plus accessible pour moi. Le violoncelle, c'était un vrai challenge pour moi et également mes professeurs, puisque je suis contraint de tenir l'archet de la main gauche. Or, normalement, on doit le tenir de la main droite.
Question : Ton violoncelle a-t-il nécessité des adaptations ?
Là où, également, le challenge était important, c'était la question de l'instrument. Jouant à l'envers, j'étais contraint de travailler aussi avec un instrument renversé. On passe de gauche à droite pour le sens des cordes. Mais également, pour la lutherie, dans la conception intérieure de l'instrument, il y a ce qu'on appelle la barre d'harmonie et l'âme, qui doivent être inversées. Depuis tout jeune, dès mes premières notes de violoncelle, s'est posée la question de comment tenir l'archet. Avec mes parents, nous sommes allés aux hôpitaux de Saint-Maurice, à la rencontre d'ergothérapeutes. C'est un travail qui a été commencé il y a bientôt 15 ans, presque 20 ans, même. Une collaboration entre ergothérapeutes, professeurs et luthiers.
Question : Que cherches-tu à travers la musique ?
Mon objectif principal, c'est de m'exprimer à travers le violoncelle, de parler avec mon violoncelle. Pour moi, la musique, c'est un langage avant tout, et c'est un langage que j'apprécie particulièrement.
Question : Le violoncelle : défi ou passion ?
Pour moi, à la base, ce n'était pas du tout un défi. C'était simplement une envie, une curiosité, et c'est devenu tout de suite une passion. C'est devenu un challenge à partir du moment où j'ai eu les premiers refus des conservatoires, des écoles de musique, pour apprendre. J'ai compris que ça allait être un challenge tout au long de ma vie. Ça ne m'a pas empêché d'avancer et de continuer de prouver que j'étais apte à apprendre, et que les difficultés rencontrées allaient être seulement des difficultés sur le papier, et que c'était un challenge que j'étais prêt à relever. Et j'ai su convaincre les personnes autour de moi de m'aider à le relever.
Question : L'inclusion du handicap aujourd'hui, tu en dis quoi ?
L'inclusion, au sens propre du terme, a énormément évolué dans la société, mais il y a encore beaucoup de travail, surtout d'un point de vue culturel. Des lois ont été votées depuis 2005, les changements ont été aperçus, que ce soit sur l'accessibilité, par exemple, des conservatoires ou des lieux culturels. Toutefois, est-ce qu'on voit vraiment beaucoup de personnes en situation de handicap dans les grands orchestres ? Je ne trouve pas. Tout cela passe aussi par des changements structurels et pédagogiques, qui sont déjà mis en place mais qui nécessitent encore beaucoup de travail, et surtout des gens convaincus que ça peut marcher.
Question : Un message à faire passer ?
Ce que je considère, c'est que malgré notre handicap, il ne faut pas avoir peur, il ne faut pas se sentir illégitime. Il est crucial d'avoir des passions, et ce malgré un handicap. J'y suis allé à fond, et j'ai rencontré des obstacles, notamment avec les institutions. Donc, pour moi, le plus gros défi, c'est de convaincre ces institutions qu'une personne en situation de handicap est apte à apprendre et qu'il faut l'encourager à apprendre, et ce dans tous les domaines, notamment le milieu culturel.